L’exposition
Je crois que j’étais à la Maison du Japon quand, ayant un peu de temps, je suis restée regarder l’écran du hall d’entrée. Quelques images sur un certain « Jakuchū« , que je ne connaissais pas, m’ont convaincue d’aller voir une exposition qui lui était consacrée au Petit Palais, à l’automne 2018. Je ne savais pas à ce moment là le caractère exceptionnel de l’événement.
En effet, le programme en question, trente rouleaux de soie peints, ne quittait le Japon que pour la deuxième fois (la première fois, c’était en 2012 aux États-Unis). Très fragile, il n’était exposé qu’un mois. Un seul petit mois, dans un grand musée parisien, pour une œuvre qui ne voyage pas ou si peu, pour la première fois en Europe… d’autres plus avertis que moi ont su le caractère exceptionnel et y sont aussi allés ! Résultat, il y avait facilement deux à trois heures de queue pour rentrer dans le bâtiment!
Mais les quelques images que j’avais vu m’avait charmée et je voulais aller voir cette exposition. J’ai donc attendu, des heures, carnet de croquis à la main, sans même savoir si j’arriverai à rentrer avant la fermeture. Et bien cette exposition, a été à la fois une des pires expositions côté expérience et une des meilleures côté émerveillement des yeux que j’ai faite jusque là !
Passé le temps de la queue, au moment où enfin je rentrais dans la pièce, j’ai été aussi déçue que découragée : il y avait un monde fou dans la petite salle, collé tant que possible aux vitres dans lesquels étaient exposés les tableaux, pire que dans le métro aux heures de pointe que je subissais tous les jours. Mais après tout ce temps à faire la queue, j’ai juste pris mon courage à deux mains et me suis insérée dans le flot lent et compact qui glissait le long des vitres.
J’ai tellement bien fait !
Les panneaux étaient un étalage de délicatesse, de subtilités, de richesse des détails ! De couleurs et de finesse pour des « choses » (plantes et animaux), simples et sublimés. Moi qui ai tendance à n’aimer dans la peinture figurative que des styles expressionnistes, s’approchant de l’abstrait, je me suis là laissée emporter par une représentation presque naïve mais qui m’a parue si enthousiaste.
Quelques informations techniques que je n’ai lu que trop rapidement au début de l’exposition (j’étais pressée d’arriver dans la salle après toute cette attente !), nous apprenait que pour rendre ses blancs encore plus blancs, Itō Jakuchū peignait aussi quelques détails sur l’envers du panneau. C’est du moins ce que j’ai retenu.
Le livre
À la sortie de l’exposition, sachant que j’aurais envie de me rappeler de ce que j’avais vu, et en me disant que cela compenserait le trop peu de temps passé à lire les explications techniques, j’ai voulu acheter le livre de l’exposition. Et là… la queue ! Il était tard, et je me suis dis que je rattacherai lors d’une prochaine exposition dans n’importe quelle librairie des musées nationaux.
Erreur.
Le livre s’est très vite retrouvé épuisé et, après avoir échoué à le trouver dans les musées, après avoir demandé à mon libraire, sans succès, de me le commander, j’ai fini par le chercher sur internet, où on le trouvait à des prix exorbitants !
Heureusement pour moi, j’ai un conjoint malin qui, après des mois, a fini par le trouver et me l’offrir (le payant un prix raisonnable m’a-t-il promis !).
Je n’ai pas été déçue. C’est un beau livre et les reproductions, tantôt sur papier brillant, tantôt sur papier mat, permettent de revoir toute la délicatesse du trait et la vivacité des couleurs, même si, bien sûr, ça ne peut pas être comme de les voir en vrai.
Jakuchū (1716-1800). Le Royaume coloré des êtres vivants
Sous la direction de Manuela Moscatiello et et Aya Ōta
144 pages, 76 illustrations
22 x 28 cm
Éditions Paris Musées, septembre 2018
Le livre s’ouvre sur les reproductions de la totalité des panneaux en quasi pleine page précédées de la Triade de Śākyamuni (qui était exposée aussi mais j’avais eu moins d’attention pour elle). Il se termine par la reproduction des Fleurs précieuses du jardin mystérieux.
Puis différents chapitres se succèdent – contexte social, culturel et artistique de l’époque, biographie de Jakuchū, sa pratique artistique et les trente panneaux en particulier, bouddhisme, etc. – dont voici, ci-dessous, un très rapide résumé.
Contexte historique d’Ito Jakuchū
À l’époque de Jakuchū, le pays était issu d’un système où la culture et donc la peinture étaient à la main de la classe dominante et d’un courant qui voulait que l’on « transmette sans inventer », c’est-à-dire que l’on fasse à la manière des anciens sans aucune créativité personnelle. Au fur et à mesure que d’un pouvoir économique grandissait et à la faveur d’un contexte politique d’ouverture et de connaissance, l’art s’est fait plus accessible, plus populaire et plus personnel.
C’est dans ce contexte propre au Japon du 18e siècle, que Jakuchū a exercé son art, formé à la tradition mais ouvert à sa propre expression.
Ito Jakuchū (1716-1800) était sensible à l’art et pratiquait la peinture mais ce n’est qu’à l’âge de 40 ans qu’il a abandonné les affaires familiales pour se consacrer à son art.
Côtoyant les moines Daiten et Baisao, le peintre trouve dans leur compagnie la spiritualité et l’érudition qui viennent alimenter sa pratique et sa sensibilité.
Le bouddhisme est au cœur de la pratique artistique du peintre qui a d’ailleurs peint le Royaume coloré des êtres vivants pour en faire don à un monastère.
Alors qu’il apprend en copiant les œuvres qu’il voit dans les monastères, il travaille aussi d’après nature et peint beaucoup, par exemple, les coqs de son jardin.
L’art de Jakuchū peut se définir par un grand raffinement, la composition, la recherche de nouvelles formes mais aussi les couleurs éclatantes comme la maîtrise des nuances à l’encre de Chine.
Il est à noter que le livre contient une liste de dates marquantes de la biographie du peintre de accompagnées de repères historiques et contextuel.
Le Royaume coloré des êtres vivants
Le Royaume coloré des êtres vivants avait pour ambition d’exprimer toute la pureté, le beauté et la force vitale des végétaux, des oiseaux, des insectes, des reptiles et autres poissons qui peuplent le monde naturel.
Aya Ōta
Le programme témoigne de la grande maîtrise technique qu’avait le Jakuchū de la peinture sur soie (travail du fond, utilisation des couleurs différente selon leur mode de fabrication, etc.) et de comment il a mis ce savoir au service de la finesse du trait et du chatoiement des couleurs. On peut particulièrement remarquer ses blancs ou encore comment il parvient à donner l’illusion de la couleur dorée sans pour autant l’utiliser. Les effets qu’il donne en utilisant l’envers de la soie sont multiples et témoignent là encore du savoir-faire de l’artiste : profondeur, illusion d’espace, volume, transparence, etc. sont autant d’éléments renforcés par les subtilités dont on n’identifie pas la source.
Le soin du détail dont il fait preuve et sa volonté supposée de transmettre non seulement l’idée liée au bouddhisme que chaque forme d’existence est digne d’attention et même de vénération, mais également que chaque être vivant est différent et que cette différence est digne de respect.
Bien sûr, il ne s’agit là que de raccourcis rapides mais je voulais vous partager un peu de ce peintre méconnu en occident dont l’œuvre est pourtant tout à fait exceptionnelle et de ce très joli ouvrage que je suis heureuse d’avoir. Si jamais, au cours de votre vie, vous passez devant une exposition, un livre, un événement autour de « Jakuchū », ne ratez pas cette occasion !
Quelques pages du livre :
Le Royaume coloré des êtres vivants est conservé au Musée des Collections impériales à Tōkyō.
Autres livres :
- Les Fleurs précieuses du jardin mystérieux, éditions Picquier ;
- On A Riverboat Journey: A Handscroll by Ito Jakuchu with Poems by Daiten, édition George Braziller ;
- Colorful Realm: Japanese Bird-and-Flower Paintings by Ito Jakuchu, University of Chicago Press ;
- Plus d’autres livres en japonais !
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